Matière à réflexions
Ci dessous un article de Louis-Gilles Francoeur qui dévoile les conséquences des bateaux à moteur sur les lacs. Un article très intéressant et pertinent qui devrait être en mesure d’éclairer bien des gens. Comme beaucoup de personnes, je suis persuadée que le lac St-Joseph doit composer avec un trop gros nombre de bateaux. Rappelons que lorsque la belle saison bat son plein, il y a plus de mille bateaux à moteurs sur la lac St-Joseph! Nul besoin d'être astrophysicien pour en mesurer les dégâts à moyen et long terme. Un peu de bon sens suffit pour comprendre qu’il y a là un problème majeur...
Ceci est un sujet tabou autour du lac, une vérité qui dérange, une réalité qu'il faudra cependant prendre en considération si l'on tient réellement à sauver ce joyau de nature qui nous tient tant à coeur. J'enquête présentement sur ce sujet afin de rédiger un article complet que l'on pourra consulter en ligne d'ici le milieu de l'été.
Au fil des années, les bateaux sont de plus en plus nombreux, de plus en plus gros et de plus en plus puissants. Personnellement (et je sais que je ne suis pas la seule) ce que je trouve le plus troublant dans cette situation que l'on s'affaire à éviter, c'est qu'il n'y a quasiment aucune réglementation (et encore moins de surveillance) pour réguler ce genre de pollution...
(rédigé par S.Bellefoy)
Louis-Gilles Francoeur
LE DEVOIR, Édition du vendredi 08 juin 2007
Qui pourrait imaginer qu'un petit moteur hors bord de 10 CV, le format limite autorisé dans plusieurs parcs nationaux pour la pêche et la chasse, peut soulever et remettre en suspension dans l'eau les sédiments qui dorment au fond d'un lac jusqu'à une profondeur de deux mètres? C'est pourtant le cas, selon les études sur cette question, qui désignent de plus en plus les embarcations comme étant les véritables détonateurs de la bombe à retardement que constitue l'accumulation insidieuse du phosphore au fond des lacs.
Si ce problème a peu de conséquences dans les lacs vierges des parcs, généralement ceinturés de montagnes et de berges naturelles, il atteint des dimensions critiques sur les lacs de villégiature. Les mêmes études indiquent en effet que l'utilisation de moteurs de 100 CV peut activer des sédiments dans lesquels se sont accumulés pendant une génération le phosphore et les métaux lourds présents dans l'essence et les huiles, et ce, jusqu'à six mètres de profondeur!
Ces chiffres apparaissent dans une étude qu'un lecteur nous a fait parvenir. Celle-ci a été remise en décembre dernier par la firme Teknika HBA à des «clients confidentiels», comme l'indique pudiquement la page frontispice du document. On y analyse la dynamique du phosphore dans le lac Brome, maintenant une victime des blooms annuels d'algues bleues vertes. Ce lac d'une superficie de 14,5 km2 draine un bassin versant de 198,4 km2, c'est-à-dire 14 fois plus grand. Il se jette dans la Yamaska, une rivière gravement polluée par l'activité agricole. Mais l'agriculture n'est toutefois que très marginalement mise en cause dans la pollution du lac Brome puisque les fermes y ont été remplacées par de cossus villégiateurs. On retrouve aujourd'hui autour de ce lac plusieurs sources classiques de phosphore, soit trois terrains de golf, deux descentes de bateaux, une marina, des installations sanitaires municipales, des dizaines de fosses septiques déficientes, un terrain de camping et la ferme d'élevage des célèbres canards du lac Brome.
Deux déclencheurs
Il existe deux déclencheurs des blooms ou explosions de cyanobactéries, toxiques et potentiellement mortelles pour plusieurs espèces vivantes en raison de la puissante toxine produite par cette algue microscopique. D'une part, les sources de phosphore, nombreuses et diversifiées; d'autre part, les mécanismes qui peuvent provoquer la libération de ce phosphore et le rendre disponible en grande quantité, ce qui provoque une véritable épidémie de cyanobactéries, au point où, malgré leur petite taille, elles en arrivent à saturer l'eau au point d'en changer la couleur et de la rendre toxique, même au simple contact de la peau.
Les prélèvements réalisés par Teknika indiquent que le phosphore s'accumule principalement dans les fosses les plus profondes du lac Brome, là où se concentrent les matériaux fins comme les silts et la matière organique en général. En un sens, ce mécanisme protège le lac, car, faute de lumière et d'eaux plus chaudes, le milieu est en principe moins favorable au développement des algues. Toutefois, vu autrement, c'est une véritable bombe à retardement qui se prépare à ces profondeurs, car la saturation en phosphore, qu'on ne voit pas venir même en 25 ans de villégiature incontrôlée, peut avoir des réactions d'envergure et provoquer une explosion d'algues le jour où l'absorption cesse à cause de la sursaturation et où les apports deviennent directement disponibles pour les cyanobactéries.
Dans les secteurs moins profonds, y compris près des rives, on trouve de plus gros matériaux qui captent moins facilement le phosphore. Mais c'est aussi parce que les bateaux à moteur provoquent la remise en suspension des sédiments fins qui absorbent le phosphore, qui s'ajoutent à la bombe à retardement en train de se constituer dans les fosses plus profondes du lac. Le va-et-vient des puissantes embarcations occasionne un autre phénomène, notent les auteurs, et tout particulièrement les wakeboards, ces embarcations lourdes et pataudes mais ultrapuissantes, conçues pour générer de grosses vagues sur lesquelles quelqu'un peut surfer. Toutes ces vagues, y compris celles des motomarines et des wakeboards, lessivent et grugent les rives du lac, ajoutant cette terre et ses nutriments aux apports chroniques dans les ruisseaux et les fossés qui, dans l'arrière-pays, drainent des centaines de pelouses bourrées d'engrais, des fermes, des terrains de golf, des fosses septiques plus ou moins efficaces, etc.
Par ailleurs, tous ces moteurs hors bord assaisonnent le lac de toxiques qui s'ajoutent aux stress que subit la faune aquatique même si, en général, les concentrations n'atteignent pas des doses létales. Mais dans l'étude du lac Brome, le quart des échantillons, soit quatre sur quinze, présentaient néanmoins des concentrations de métaux lourds qui dépassaient les critères de qualité de l'eau recommandés par les gouvernements.
Ces toxiques proviennent souvent des pesticides utilisés abondamment dans les golfs et présents dans l'essence des moteurs. On compte 160 000 bateaux à moteur au Québec, la très vaste majorité étant des moteurs à deux temps qui brûlent très partiellement leur essence et l'huile qu'on y mélange pour la lubrification des pistons. Ces mêmes moteurs polluants équipent la plupart des motomarines. Or, selon le Rapport sur l'impact des embarcations à moteur sur l'environnement aquatique et la qualité de l'eau potable, signé en août 2006 par Adeline Piot et Émilien Pelletier, de l'Université du Québec à Rimouski, «suivant la puissance, la vitesse, le mélange d'huile utilisé et les réglages des bateaux, en moyenne, de 25 à 30 % du carburant utilisé passe dans la colonne d'eau (California Air Resources Board, 1998). Les moteurs à deux temps, qui représentent la majorité des moteurs utilisés pour les bateaux (75 % environ), sont particulièrement polluants par rapport aux quatre-temps». C'est ainsi que le MTBE, un additif de l'essence, se retrouve dans des proportions de 17 à 35 fois plus élevées dans les rejets des deux-temps et de trois à 15 fois plus dans le cas des autres additifs comme le BTEX. Certes, avec le temps, ces additifs se dissolvent et disparaissent du lac, mais peut-on vraiment penser que leur présence, même passagère, n'a aucun impact?
Le plan gouvernemental annoncé cette semaine par le gouvernement Charest pour lutter contre les cyanobactéries permettra non seulement de mieux voir venir les problèmes grâce à une détection plus systématique mais aussi de protéger davantage l'approvisionnement en eau potable des villes grâce à une enveloppe de dix millions de dollars, destinée à renforcer les systèmes de filtration municipaux.
Mais ce plan n'offre pas l'amorce d'une attaque contre les causes de ces problèmes, ni en ce qui a trait aux apports en phosphore, ni contre les détonateurs de blooms que sont les grosses embarcations. On incite tout au plus les citoyens à passer à l'action en les informant, mais on leur renvoie le poids politique et social de la tâche qui consiste à forcer chaque conseil municipal, du plus obtus au plus sensible, à adopter une réglementation. Dans un domaine où les causes sont pourtant connues (et quand on sait avec certitude que malgré les différences propres à chaque milieu, les effets seront les mêmes avec le temps), il est difficile de prendre au sérieux un «plan» qui ne prévoit rien pour désamorcer les bombes à retardement en préparation au fond de chaque lac et pour neutraliser les détonateurs bruyants que sont les grosses embarcations. Pis encore, rien de particulier n'a été prévu pour ces lacs et ces cours d'eau qui servent de réservoirs d'eau potable à des villes et des municipalités. La ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, Line Beauchamp, pourrait annoncer dès maintenant, en vue de l'automne, une audience générique du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) pour définir un jeu de normes minimales de protection des lacs et des cours d'eau québécois. On ne peut vraisemblablement plus attendre dix ans dans ce domaine: trop de lacs, trop de patrimoines familiaux et une trop vaste portion de l'économie des régions périphériques auront été irrémédiablement endommagés.
- Lecture: Environnement et sciences sociales - Les défis de l'interdisciplinarité, sous la direction de Corinne Gendron et Jean-Guy Vaillancourt. On sait aujourd'hui que le fonctionnement «en silo» des professionnels, scientifiques, administrateurs, institutions, entreprises et ministères explique le fait que tout le monde travaille depuis des décennies sans se préoccuper des impacts de ses activités sur l'environnement. Mais suffit-il de penser plus globalement pour changer les choses? Ne faudrait-il pas travailler différemment? Voilà l'énorme sujet que soulève ce collectif sans y répondre totalement. Sujet technique et hermétique, diront certains. Mais ces difficultés nous mènent directement au coeur des enjeux de connaissance et de pouvoir que soulève le développement durable au-delà de la rhétorique ronflante habituelle.
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